« Parfois, il faut faire un gros investissement pour avoir un gros impact »


L’Américain Phil Spencer est à la tête de Xbox depuis 2014.

Après l’annulation de l’E3 de Los Angeles cette année, la Gamescom, dont l’édition 2023 ouvre aujourd’hui ses portes à Cologne, peut désormais prétendre au titre de salon du jeu vidéo le plus attendu. Dans les travées du Kölnmesse, pas encore noires de monde car réservées le temps d’une journée aux professionnels du secteur, difficile d’échapper aux affiches ou au logo circulaire du Starfield des studios Bethesda (propriété de Microsoft depuis 2020), dont la sortie est prévue pour le 6 septembre sur PC et Xbox.

L’ambitieuse aventure spatiale est capitale pour Microsoft et sa division « jeux vidéo ». Phil Spencer, le patron de cette dernière, a d’ailleurs fait le déplacement pour participer aux présentations en avant-première à la presse.

De nombreuses personnes demandent à se prendre en selfie avec vous lorsqu’elles vous croisent dans le salon. C’est rare dans le jeu vidéo. Est-ce que ça vous étonne ?

J’apprécie cette connexion. Cela va un peu contre ma personnalité, car je suis quelqu’un d’assez introverti. Mais je sais bien que ce sont surtout des passionnés. Je respecte beaucoup leur engagement envers nos produits et leur investissement sur nos jeux.

Si les gens vous reconnaissent, c’est aussi parce que vous participez régulièrement aux conférences d’annonces des jeux. C’est un moyen d’incarner votre marque ?

Je n’accorde pas vraiment d’importance au fait d’être le visage de Xbox, même si cela fait un peu partie du travail. Mais on a plus de 10 000 employés, je ne fais qu’une toute petite partie du boulot. L’un des aspects cruciaux de mon activité est que ces équipes se sentent motivées et aient confiance en leurs dirigeants. Les joueurs, eux, veulent avoir confiance dans la plate-forme. J’ai l’impression qu’être moi-même un joueur aide à construire cette connexion.

Comment concilier cette pratique, qui exige d’avoir beaucoup de temps libre, avec un poste à responsabilités ?

Je ne regarde jamais la télévision. Donc le soir, je joue avec mes amis. Je redeviens un simple joueur, sous l’identifiant « P3 », et je ne suis pas entouré de collègues. J’ai toujours voulu que mon travail dans cette industrie n’abîme pas ma passion, je cherche un certain équilibre.

Vous expliquez avoir déjà largement exploré Starfield, qui n’est pas encore sorti. Est-ce que vous avez franchi là la ligne entre travail et passion ?

Habituellement, je n’aime pas jouer à nos jeux en avance. Quand j’ai commencé Starfield, en novembre dernier, je le faisais la journée et j’écrivais des retours aux équipes. Mais je ne l’ai pas terminé car je veux aller au bout en tant que Phil le joueur et non en tant que Phil, le dirigeant de Xbox. Mais j’y ai beaucoup joué car c’est un jeu très spécial.

Il est très ambitieux mais aussi très coûteux. Comment justifier une telle dépense, et comment son développeur, Bethesda, a-t-il défendu un retard d’un an auprès de vos services ?

Etre certain que notre business est croissant et profitable est ma responsabilité numéro un. Non pas uniquement envers Microsoft mais aussi envers nos joueurs et nos créateurs. Parce que si les affaires sont bonnes, nous allons durer et c’est ce qui compte. Et, de temps en temps, il faut faire de gros investissements pour avoir un gros impact. Parier sur une équipe comme celle de Todd Howard et des studios Bethesda, qui ont à leur actif des jeux incroyables [Skyrim, Fallout 4], était finalement un investissement facile. Et reporter la date de Starfield était le moyen de leur donner le temps de faire le jeu qui correspond à leur vision.

Est-ce que vous jouez aussi à Candy Crush ?

Candy Crush [qui appartient à Activision Blizzard, dont Microsoft a annoncé le rachat en 2022] est installé sur mon téléphone. Je n’y ai pas passé beaucoup de temps, un peu moins que Diablo Immortal, qui correspond plus à mes goûts. Le jeu sur smartphone est le plus gros secteur du jeu vidéo, et apprendre à créer et développer des communautés de joueurs sur mobiles est très important pour notre avenir. Cela ne veut pas non plus dire que nous allons nous éloigner des consoles ou des PC. Cette acquisition nous aide à ajouter des experts de ce domaine à nos équipes déjà existantes.

Phil Spencer, à Los Angeles, le 11 juin 2017. L’Américain de 55 ans a notamment mené le rachat de « Minecraft », jeu le plus joué au monde, par Microsoft.

Le rachat n’est pas encore finalisé. Il coince encore auprès des régulateurs américains et britanniques. Que retenez-vous des nombreuses audiences auprès des différentes autorités de la concurrence dans lesquelles vous avez dû le défendre ?

J’ai l’impression que la plupart des régulateurs s’intéressaient pour la première fois à l’industrie du jeu vidéo. Il fallait donc faire beaucoup de pédagogie, expliquer le secteur et en quoi il est différent du cinéma, de la musique et de la télévision. Mais ce n’est pas du temps perdu pour nous car les gouvernements ont un rôle important dans la régulation de la consommation. Cela nous a permis de construire une relation de confiance avec eux et de leur faire mieux comprendre que cette industrie, qui génère plus de 200 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, est massive. Cela a beau ralentir l’acquisition, c’est un bon investissement sur le long terme.

Vous avez dit à plusieurs reprises que ce rachat est un moyen de diversifier votre catalogue et de toucher de nouvelles personnes. Ne craignez-vous pas de vous éparpiller ?

Quand vous êtes à ce poste, il faut abandonner une idée : celle de réussir à satisfaire tout le monde avec une seule chose. Je pense plutôt que les communautés de joueurs sont très variées et que leurs goûts le sont aussi. C’est pour cela que nous devons aussi faire des choses différentes. Certains vont adorer Flight Simulator, la plus ancienne franchise de Microsoft – qui est même plus vieille que Windows. D’autres seront plus attirés par le tout nouveau Starfield.

De nouveaux outils utilisant l’intelligence artificielle viennent transformer le processus créatif dans le jeu vidéo. Quel est votre regard sur ce sujet ?

Il n’est pas question de remplacer les individus, la créativité humaine sera toujours présente dans ce processus. Je regarde donc ces outils et je me demande : « Comment peuvent-ils aider les équipes ? » Beaucoup de jeux d’aujourd’hui sont si vastes et ont tant d’ampleur qu’il est très difficile, en amont de leur lancement, de les faire tester de façon exhaustive par des humains. Et parfois, il y a plus de travail à faire que d’employés dans un studio. J’espère que cela permettra de trouver des solutions, d’anticiper les délais, que ce soit pour fixer une date de sortie ou peaufiner le développement.



Source
Catégorie article Jeux

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.